La France compte un peu plus de 500.000 défibrillateurs sur son territoire mais environ 60 % d’entre eux ne marchent pas ou sont défaillants. Et depuis plusieurs mois, ces appareils médicaux sont la cible de voleurs sans foi ni loi Il est des actes dont le caractère odieux dépasse l’entendement. Comme celui de voler du matériel qui permet de sauver des vies. En juin 2023, la petite commune du Luart dans la Sarthe a ainsi été frappée par deux drames qui auraient peut-être pu être évités si la bêtise humaine avait des limites.

Le 24 juin tout d’abord, un ouvrier s’était effondré sur l’exploitation agricole où il ramassait des cornichons, victime d’un arrêt cardiaque . Son employeur, sapeur-pompier par ailleurs, avait aussitôt filé en direction du bourg pour récupérer le défibrillateur installé près de la mairie. En posant les électrodes sur le torse de son ouvrier, il avait alors découvert, effaré, que la batterie de l’appareil était manquante, volée par un inconscient. Malgré l’intervention des secours, le quinquagénaire était décédé quelques minutes plus tard.

Deux jours après ce terrible drame, une femme de 62 ans avait également succombé à un malaise cardiaque dans cette même commune. Et là encore, le défibrillateur n’avait pas pu servir avant l’arrivée des pompiers, la batterie n’ayant pas pu être changée à temps. « C’est un geste complètement déplorable et irresponsable », avait réagi le maire de la commune, qui avait porté plainte pour vol. « Déplorable et même plus que ça, assassin ! », narre en voix off Régis Michel en ouverture de son documentaire Zéro battement par minute , sorti l’an dernier et consacré au « scandale des défibrillateurs. »
Revendus pour quelques centaines d’euros sur Internet Cet acte, aussi abject soit-il, n’est malheureusement pas un fait isolé. Depuis plusieurs mois, une vague de vols de défibrillateurs automatisés externes (DAE) touche ainsi les gares de la SNCF et de la RATP en Ile-de-France. « C’est un phénomène assez récent qui a commencé un peu avant les Jeux olympiques Avant, on n’avait jamais été confronté à ce type de vol », confirme le commissaire divisionnaire Christophe Ballet, chef de la sûreté régionale des transports à la préfecture de police de Paris. En un an, ses équipes ont interpellé dix-sept individus soupçonnés d’une cinquantaine de vols dans les gares franciliennes.

« Ce n’est pas un réseau mais des petits groupes de délinquants qui volent ces appareils et les revendent sur Le Bon Coin pour gagner quelques centaines d’euros », détaille-t-il. La plupart des défibrillateurs volés avaient été retrouvés chez un receleur en Savoie qui faisait son marché sur Internet pour les revendre ensuite en Suisse. Conséquence de ces vols à répétition, les communes sont de plus en plus tentées de les enlever de l’espace public pour les installer en mairie, dans la salle des fêtes ou dans l’église, les rendant donc inaccessibles en dehors des heures d’ouverture.
60 % des appareils défaillants ou hors service Mais s’il n’y avait que les vols, « un phénomène qui monte certes en puissance mais qui reste quand même marginal », Régis Michel ne tirerait pas autant la sonnette d’alarme. Le vrai scandale selon lui, c’est l’état du parc. Un parc qui a considérablement grossi ces dernières années avec l’obligation faite à tous les établissements recevant du public de détenir un défibrillateur. On en compte aujourd’hui entre 500.000 et 550.000 en France, selon le décompte de l’Association pour le recensement et la localisation des défibrillateurs (ARLoD), contre environ 180.000 en 2018.

Problème, seulement 30 % d’entre eux sont déclarés par leurs exploitants dans la base nationale Géo’DAE alors que c’est pourtant une obligation. « Ce sont des défibrillateurs qu’on ne peut donc pas localiser sur les applications en cas d’urgence », déplore le docteur Bruno Thomas-Lamotte, président d’ARLoD. Pire encore, 60 % des défibrillateurs présenteraient une anomalie et un tiers seraient même hors service avec une batterie ou des électrodes périmés.

Un manque d’information et de réglementation « On a tout un stock de défibrillateurs sur le territoire, il y en a même presque trop, mais on ne sait pas où ils se trouvent et s’ils fonctionnent correctement », s’alarme Régis Michel. « Quand on sait que le taux de survie à un arrêt cardiaque n’est que de 8 % si aucun geste n’est pratiqué mais peut atteindre 50 à 70 % en cas de défibrillation immédiate de la victime, c’est absolument scandaleux », abonde Bruno Thomas-Lamotte.
Les raisons de ces défaillances en série sont nombreuses. « Beaucoup d’exploitants se contentent d’avoir un appareil et négligent leur entretien et leur maintenance car ils ne savent pas qu’ils ont des obligations », souligne Thibaut Antoine-Pollet, président de la société Locacoeur, pointant du doigt le manque d’information et l’absence d’un texte réglementaire sur le sujet. « Les extincteurs doivent par exemple être vérifiés tous les ans mais il n’y a rien de tout cela pour les défibrillateurs », regrette aussi Régis Michel.

Les Français pas formés aux gestes qui sauvent Dans ce marché qui a fortement progressé ces dernières années, des sociétés peu scrupuleuses ont également flairé le filon, proposant une maintenance et un entretien bidon ou un service minimum à leurs clients. Alors qu’un défibrillateur coûte en moyenne 1.500 euros neuf, certains vont aussi préférer se tourner vers des modèles bas de gamme ou d’occasion sans trop se soucier de la qualité et de l’état de marche du produit. « Et quand ça ne marche pas, il n’y a pas de deuxième chance », assure Bruno Thomas-Lamotte.
Le président d’ARLoD dézingue enfin le manque de volonté des pouvoirs publics. « Durant son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait indiqué son souhait que 80 % de la population soit formée aux premiers secours , on en est très loin », fustige-t-il. Un manque de formation que pointe aussi Régis Michel. « Car avant de se servir d’un défibrillateur, il faut déjà savoir faire un massage cardiaque », prévient-il. Alors que 50.000 personnes font un arrêt cardiaque chaque année en France, une grande campagne nationale sur les gestes qui sauvent aurait en effet du sens. Et il y a urgence tant la France a pris du retard en la matière par rapport à ses voisins européens.

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