Esteval : [Expertises] Un voyant vert ne doit jamais devenir un permis de mourir
Tribune de Thibaut Antoine-Pollet, expert en premiers secours et protection cardiaque.
Il y a des gestes simples qui sauvent des vies. Utiliser un défibrillateur en fait partie. Mais encore faut-il qu’il fonctionne.
Aujourd’hui en France, jusqu’à un tiers des défibrillateurs automatisés externes accessibles au public seraient inutilisables. C’est ce que révèlent plusieurs rapports et constats de terrain.
Cette réalité est glaçante. Et pourtant, elle reste ignorée. Pire : masquée. Car ces appareils, souvent perçus comme fiables, affichent un voyant vert. Un signal censé rassurer, mais qui, dans certains cas, dissimule un défaut critique.
Le documentaire “Zéro Battement par Minute”, réalisé par Régis Michel, a mis en lumière cette faille. On y découvre un DAE installé en bonne et due forme, dont le voyant est vert… et qui ne pourra pourtant pas sauver une vie. En effet, l’autotest intégré au DAE ne réalise qu’un contrôle partiel et n’a pas détecté l’absence des électrodes. Résultat : le défibrillateur était inutilisable, malgré un voyant vert allumé. Une diode verte, qu’elle soit fixe ou clignotante, ne garantit en rien que l’appareil fonctionne réellement. Le problème est profondément structurel. Plusieurs modèles de grandes marques intègrent une pile interne essentielle au déclenchement du choc électrique. Cette pile, soudée à l’électronique, n’est ni testée par l’autotest ni remplaçable. Sa durée de vie, limitée à environ 4 ans, réduit de moitié la longévité réelle du
défibrillateur, initialement annoncée à 8 ou 10 ans. Une fois hors service, cette pile ne génère aucune alerte. Résultat : le DAE continue d’afficher un voyant vert rassurant, alors qu’il est tout simplement incapable de délivrer le
choc vital.
Ce n’est pas une simple anecdote technique . C’est une faille de sécurité majeure. Un dysfonctionnement
conçu, documenté… mais encore toléré.
– Comment expliquer que des dispositifs médicaux censés sauver des vies puissent afficher un statut “opérationnel” alors qu’une de leurs composantes vitales est défaillante ?
– Pourquoi des fabricants continuent-ils à commercialiser des DAE dont l’autotest est incomplet ?
– Pourquoi aucune norme européenne ne contraint-elle aujourd’hui à vérifier la pile interne, les électrodes, la batterie, et la capacité réelle à délivrer un choc ?
Mais au-delà des questions techniques, une autre interrogation s’impose : qui se soucie réellement de ce problème ? Combien faut-il de vies sacrifiées, combien de drames humains avant que l’on prenne enfin la mesure de cette urgence ? À
partir de quel montant, de quel chiffre, de combien de morts un signal d’alarme sera-t-il déclenché ?
Le coût d’un défibrillateur automatique externe est dérisoire face à la valeur inestimable d’une vie humaine. Alors pourquoi persister à tolérer qu’un appareil essentiel puisse être vendu et déployé dans un état défectueux, avec un voyant vert
trompeur qui donne un faux sentiment de sécurité ? Ce silence tue. Il nourrit une illusion mortelle. Il expose les témoins à des drames évitables, et fait peser une responsabilité écrasante sur les collectivités, entreprises et
citoyens qui n’ont ni les moyens ni l’expertise pour pallier ces défaillances.
Ce débat n’est plus seulement technique , il est moral et urgent. Il ne suffit pas d’améliorer la maintenance ou de renforcer la formation. Il faut une transparence totale sur le fonctionnement réel des DAE. Il faut que les pouvoirs publics prennent acte de cette faille et imposent des normes techniques strictes et contraignantes aux fabricants. Il en va de la confiance collective. Et surtout de la vie des victimes à venir.
Un voyant vert ne doit jamais devenir un permis de mourir.
Ainsi que l’article via ce lien :
https://www.esteval.fr/article.42473.expertises-un-voyant-vert-ne-doit-jamais-devenir-un-permis-de-mourir