Tribune libre : Les Chroniques du Coeur / Le cœur, de mystère antique à organe vital
Le cœur a longtemps été l’un des grands mystères de la médecine. De l’Antiquité au Moyen Âge, bien que tous les savants pressentissent son importance capitale, son fonctionnement restait un secret, enveloppé de croyances et de mythes fascinants.
Le cœur dans les civilisations antiques : entre mythe et symboles
Depuis la nuit des temps, le cœur fascine l’humanité. Dans les civilisations antiques, cet organe est enveloppé de mystères, de croyances et de symboles puissants. Pour les Égyptiens, il n’est pas seulement un organe, mais le véritable siège de l’âme humaine. La pesée du cœur face à la plume de Maât, déesse de la vérité et de la justice, déterminait le destin de l’âme dans l’au-delà. Cette idée révèle combien le cœur était déjà perçu comme un organe chargé d’une valeur morale et spirituelle profonde.
Chez les Grecs, le cœur est associé à Éros, dieu primordial de l’amour, dont les flèches enflamment les passions. Il est le siège de l’âme, mais aussi de la création et de la poésie. En Inde, le dieu Kâma joue un rôle similaire, déclenchant le désir amoureux par ses flèches. Ainsi, dans ces cultures, le cœur symbolise non seulement la vie physique, mais aussi la force motrice de la vie émotionnelle et créative.
La mythologie nordique, quant à elle, illustre une autre facette de cette fascination : le cœur de pierre du géant Hrungnirsymbolise la puissance brute et mystérieuse, tandis que le triskell, figure magique inspirée de ce cœur, témoigne de la force des symboles liés au cœur dans les cultures européennes anciennes.
Ces mythes montrent que, bien avant de comprendre son fonctionnement, les hommes savaient que le cœur était un organe hors du commun, chargé d’une force vitale et spirituelle universelle.
Un organe méconnu malgré son importance
Malgré cette importance mythique, le cœur reste un mystère pour la médecine durant des millénaires. Les premières dissections d’animaux ne permettent pas de comprendre son rôle réel. Les médecins anciens croient que les artères transportent de l’air, tandis que le sang circule principalement dans le foie et la rate. Ces erreurs durent plusieurs siècles, ralentissant la découverte du véritable fonctionnement du système cardiovasculaire.
Au IVe siècle avant J.-C., Herophile décrit la palpation du pouls sans en comprendre le sens, et au IIe siècle ap. J.-C., Galien détaille le réseau sanguin, mais interprète mal le rôle des organes. Ce n’est qu’au XIIIe siècle qu’Ibn Al-Nafisdécrit pour la première fois la circulation pulmonaire, une avancée capitale, mais ignorée pendant des siècles. Le XVIe siècle voit Michel Servet redécouvrir cette circulation pulmonaire, mais ses travaux sont détruits pour cause d’hérésie. La découverte de la circulation sanguine complète par William Harvey au XVIIe siècle bouleverse enfin les connaissances médicales. Cette révolution scientifique met fin à des pratiques dangereuses comme les saignées, encore largement utilisées au XVIIe et XVIIIe siècles.
La lenteur de cette progression souligne combien la science s’est heurtée à des croyances tenaces, et combien la vérité sur le cœur a été difficile à appréhender.
Le cœur aujourd’hui : organe vital et symbole universel
Aujourd’hui, la science connaît parfaitement le cœur comme la pompe qui irrigue tout notre corps, assurant la vie par la circulation du sang. La cardiologie est une discipline médicale majeure qui sauve des millions de vies chaque année.
Pourtant, au-delà de sa fonction physiologique, le cœur reste un puissant symbole culturel et émotionnel. Notre langue est remplie d’expressions qui le lient à nos sentiments : avoir “le cœur lourd”, un “cœur de pierre”, ou au contraire un “cœur tendre”. Il est toujours le moteur de la volonté, du courage, de l’amour.
Cette double nature — scientifique et symbolique — fait du cœur un pont entre la raison et la poésie, entre le corps et l’âme. Il continue à inspirer artistes, philosophes, et médecins, incarnant la complexité de l’être humain lui-même.
Par Thibaut Antoine-Pollet, Président de Locacoeur
Cliquez sur le lien suivant pour visualiser la tribune libre :